Nous marchons sur un chemin dans un petit vallon. Le lieu est totalement tranquille. Nul véhicule ne peut accéder. Les oiseaux ne chantent pas, nous sommes en hiver. Seul un pic vert essaie d'obtenir son repas en tambourinant sur un vieux tronc. Pourtant, nous sommes accompagnés tout au long de notre promenade par un chant joyeux, plein d'énergie, celui du petit ruisseau qui serpente au fond du val. Il nous rend joyeux et nous avons envie de rester là, loin des incohérences attristantes du monde actuel. Nous avons envie de rester là, dans ce paysage resté intact, beau, éternel, bienfaisant. |
Le Petit ruisseau
La bûche ma compagne
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Ce soir, je suis seule, pas vraiment, le feu de bois est là, si vivant. Il m'enveloppe de sa chaleur et je me sens bien. Je l'observe, les petites flammes courent sur la bûche. Il me transmet un peu de bonheur, celui de se sentir bien même si on est seule. — Liliane Faucher |
Autodafé à La Châtaigne
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La fête de La Châtaigne bat son plein dans le soleil doré d’une belle après-midi d’automne et les fanfaronnades farcies aux canards. On déguste le boudin aux pommes et le boudin à la châtaigne, le tout arrosé du cidre frais qui dégouline du grand broyeur de pommes trônant sur la place. L’exode rural a drainé la jeunesse du petit village de La Châtaigne (123 habitants) mais la mairie est revigorée par l’installation récente de « jeunes » ; des retraités cultureux de banlieue, nostalgiques de la ruralité, ouvertement en rupture avec les technologies prédatrices du moi intérieur… Elle a décidé de constituer la Commission Paritaire Participative Événementielle qui a proposé d’instituer une cérémonie intitulée « Autodafé à La Châtaigne ». Le terme « autodafé » a provoqué des débats longs, parfois aigres, en raison de ses connotations. La commission est arrivée à un consensus aux termes duquel a) aucun texte ne serait brûlé ; b) le broyeur de pommes serait l’instrument du supplice. En fin d’après-midi, les villageois sont invités à se rapprocher du grand broyeur de pommes et chacun y jette un objet symbolique de la vie dévoyée à la ville : une tablette chinoise ; un smartphone coréen, des lunettes 3D, un pass navigo… Pendant les activités scolaires, les enfants ont peint sur des ballons d’hélium des personnages de dessins animés et de jeux vidéo aux couleurs criardes : Spiderman, Pokémons, Homer Simpson… La fanfare joue de la musique branchée : Electro, Hip-hop, Rap, Dub, Grind… En raison du terme a), les partitions ne sont pas jetées dans le broyeur mais un enregistrement Ce n’est pas du jus de pomme qui dégouline dans le baquet de bois ; c’est de la grenaille électronique. Quand il sera rempli, il s’envolera emporté par les ballons jusqu’aux cieux, aux cris de « Vive la pomme ! Vive le boudin ! Vie à La Châtaigne ! ». — Paul Sanson |
Bon sang ne saurait mentir
Cliquer pour compter les doigts
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La victime était assise, adossée au pied de la statue, tuée net d’une balle en plein cœur, par le petit luger échappé de sa main. Un suicide selon toutes apparences ; alors pourquoi le jeune baron de la Rochemolle avait-il un doigt de pierre enfoncé dans la bouche ? – Je ne crois pas au hasard, dit Lucas qui croît au hasard, mais c’est facile à expliquer : la balle a traversé le baron et a heurté l’index droit de la statue qui s’est cassé puis est tombé pile dans sa bouche ouverte. – Une chance sur mille milliards ! répliqua Janvier qui a les pieds sur terre. Hubert, le majordome, m’a dit que la statue est celle de la baronne Héloïse de la Rochemolle, noblesse d’empire, troisième du nom. Elle fut célèbre, d’abord pour sa beauté callipyge, mais aussi pour une particularité physique rare : elle a six doigts à la main gauche et six doigts au pied droit ; c’est vrai, vous pouvez compter. Hubert m’a affirmé « cette tare se transmet par les mâles vers les femelles : toute fille née d'un baron de la Rochemolle a un gros cul, six doigts à la main gauche et six doigts au pied droit ». – Je ne crois pas aux coïncidences, dit Lucas qui croît aux coïncidences, mais Céleste, la vieille gouvernante qui a connu trois générations de Rochemolle, m’a dit que Diane, la sœur du baron, vient d’accoucher d’une fille. Elle s'appelle Esperanza car il parait que le vieux marquis Don Diego Marquez de Luna qu’ils ont marié à Diane pour pouvoir retaper le manoir « n’y arrivait plus ». Céleste a ajouté que Don Diego avait le visage noir de colère en sortant de la chambre de naissance car la petite a six doigts. – C’est impossible ! M’écriais-je, car bon sang ne saurait mentir. Si Hubert dit vrai, il y a une erreur, ou bien… Seigneur quel scandale ! Convoquez immédiatement une réunion de famille dans le grand salon. Mon sixième sens me dit que ce sixième doigt est la clé du mystère. — Paul Sanson |
L'avant
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Une aurore écarlate, sur l’obsession de tes baisers clandestins, attise l’impertinence de mon désir. L’absurde pendule se joue de mes chimères et s’évertue à étirer l’avant en interminable sursis. Des symphonies : pastorales, pathétiques, héroïques balisent ton approche jusqu’à la fébrilité de mes frontières de dentelle. — Liliane Fauriac |
Ô nostalgie des lieux
Ô nostalgie des lieux ... Revenir sur mes pas, refaire doucement - et cette fois, seul - tel voyage, rester à la fontaine davantage, toucher cet arbre, caresser ce banc... Monter à la chapelle solitaire que tout le monde dit sans intérêt ; pousser la grille de ce cimetière, se taire avec lui qui tant se tait. Car n'est-ce pas le temps où il importe de prendre un contact subtil et pieux ? Tel était fort, c'est que la terre est forte ; et tel se plaint : c'est qu'on la connaît peu. — Rainer Maria Rilke, Vergers |
Rose
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Elle, l’amie du Petit Prince Empile les pages rouge sang Où elle a écrit son roman Autour de son corset si mince. Que n’écrit-on à l’eau de rose En se griffant à ses épines ? Jardiniers et poètes peaufinent Espérant la métamorphose. D’aucuns la disent capricieuse, Dédaignent son parfum, sa beauté. D’autres louent sa féminité Reine des fleurs délicieuse ! Rose cueillie, rose ouverte Rose sauvage, rose fanée, Rose en bouton ou surannée Mieux qu’un présent : rose offerte. Au fil des jours et sous le vent Comme nos corps, elle s’incline. Comme une femme, elle fascine, Conjugue « aimer » à tous les temps. — Liliane Fauriac |
Green roadmap*
Il faut célébrer la nature chaque année car si la musique a sa fête, la nature aussi. La fête de la nature, célébration festive, sérieuse, exigeante, authentique, doit faire progresser les participants (enfants, jeunes, seniors) sur le chemin de la connaissance de la biodiversité ; elle doit favoriser une évolution des comportements individuels responsables en faveur de la protection de la biodiversité.
Fête de l’agriculture biologique ; fête du bio ; fête des énergies renouvelables ; fête des paysages et de la nature en ville ; fête du jardin et du développement durable ; fête de la mobilité durable ; fête du vélo. Espace événementiel de découverte de la nature naturelle ; promenade ornithologique et naturaliste ; balade ludique et botanique ; balade lecture du paysage ; balade singulière alternant lectures poétiques et explications naturalistes. Journée mondiale des zones humides ; des forêts ; de l’eau ; de l’océan ; de la mer ; de la terre nourricière ; de la biodiversité ; des espèces menacées ; de la lutte contre la désertification et la sécheresse.
Atelier créatif de sensibilisation aux pratiques bioénergétiques ; aux plantes médicinales ; aux médecines douces. Journée d’animation ludique et familiale ; kit numérique de signalétique spéciale pique-nique ; productions musicales inspirées de la nature ; conférence consacrée à l’art à la plage. Atelier d’échange participatif aux jeux éducatifs sur l’économie d’énergie ; les énergies renouvelables ; la biodiversité ; l’écoconstruction ; l’agriculture bio ; le compostage ; les toilettes sèches. |
* La feuille de route écologique.
Remake de la piscine
cliquer pour voir les pigeons
| Une semaine que je planque depuis la tour du château qui domine le petit bled périgourdin de Bourdeilles. Perché, avec mes copains les pigeons je zieute le couple de retraités au bord de la piscine de la très discrète « hostellerie ». C’est pas vraiment une piscine, pas vraiment des retraités et je ne suis pas vraiment un paparazzi, au moins sur ce coup. Cette fois, mes photos ne finiront pas dans Voilà, Marie Patch ou Gaga ; c’est une commande juteuse pour Armand de Laène, le puissant vice sous-secrétaire de l’AAAA (Association des Amateurs d’Amour Absolu). Quant aux « clients » qui ont réservé sous le (faux) nom de Mr. et Mme Delong pour 3 jours 2 nuits, ce sont d’anciennes gloires du cinéma. Ils ne font plus le buzz mais ils aiment encore les rendez-vous secrets, ah les beaux jours ! Ils se sont connus en 69 alors qu’ils débutaient sur la « piscine » (3 jours 2 nuits de tournage), où de Laène était second assistant régisseur. Ce fut une passion simple, bizarrement platonique et muette. Contenue derrière les lunettes noires, elle a pourtant irradié les acteurs, ionisé l’eau de la piscine, brûlé la pellicule. Le jeune Armand, déjà détecteur amateur d’atomes crochus, rêvait en coulisses de romance par procuration. Mais voilà, il n’est rien arrivé. Ils sont retournés à leurs foyers, à leurs contrats et ont peu à peu drifté dans la rat race. Le hasard ne les réunit qu’une fois, brièvement, quand elle fut chargée de lui remettre le César pour « l’ensemble de son œuvre » ; c’était il y a un mois. De Laène m’a prévenu « t’as intérêt à sous-exposer, ils vont cramer ta péloche ! ». Il a bien raison, leur bonheur illumine leur petit théâtre, paradis coloré perdu dans la grisaille. Chance ! A leur insu il y a trois spectateurs, un voyeur et deux pigeons, pour deux acteurs. Ils sont donc autorisés à jouer le dernier acte de la pièce de leur vie. Pas besoin de costumes ni de lunettes noires pour une passion simple devenue bonheur simple, 3 jours 2 nuits de bonheur simple. — Paul Sanson |
Le thé berbère
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Thé de la bienvenue, Thé de l’amitié, Thé parfumé de menthe D’armoise ou de lavande Répands l’arôme de la paix. Brûlant et parfumé, Sucré comme la vie, Le premier se fait doux. Excitant, passionné, Puissant comme l’amour, Le deuxième est plus fort. Tiède puis bientôt froid, Amer comme la mort, Le troisième se dissout À la fin du voyage. — Liliane Fauriac |
Divagation dans le reg
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Dans son château minéral, Échappée par les toits des cheminées de fée, L’âme de la princesse captive veille. Au creux de ses rides sculptées par le vent Elle ensorcelle le voyageur audacieux. Sur l’aile des vautours, Elle plane au-delà des vagues fauves Qui bourgeonnent de mille fleurs d’argile Fixées sur les contours de dunes immobiles. Elle hante le désert livré au promeneur Captif de ses méandres. Des voiles de nuages la caressent en passant Et exaltent le bleu qui l’habille au soleil. Nul ne saura jamais le bruit de l’océan Au fond duquel elle a éclos. Nul ne saura jamais La violence des flots qui ont moulé ses courbes Et modelé ses creux. Tous mes sens envoûtés Par ses parfums subtils Vibrent encore au frisson De sa beauté intense. — Liliane Fauriac |
Mosaïque oxymorique
Obscure clarté qui tombe des étoiles Soleil noir de la mélancolie Silence assourdissant Enfer polaire, été hivernal Enfermé dehors, c'est très moyen Mon plus beau cauchemar La barbarie à visage humain Je ne suis ni pour ni contre bien au contraire La liberté c'est l'esclavage La gauche caviar Les guerres civiles, saintes, propres Ce sont d'effroyables jardins Pauvre petite fille riche Du sucré-salé, douce-amère J'ai un énorme faible Femme enfant, affreusement belle Une bonne fessée ! Doux supplice Elle se hâte avec lenteur, à l'aube de la nuit C'est un jeune vieillard, un mort-vivant Elle est proprement dégueulasse C'est un petit miracle, un vrai mythe La bête humaine Yin & Yang, same difference... — Paul Sanson |
Mon trésor
Cliquer pour trouver la geisha
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Il n'y a pas de chiens de faïence dans mon bazar étalé sur la table, mon trésor. Les chiens c’est nous, deux vieux chiens qui se regardent, depuis un bon moment déjà. Toi, tu n’as pas l’air de savoir quoi faire de toi. Moi, je saurais bien… Je peux encore servir ! Même si tu as l'air de me prendre pour une des vieilleries étalées sur la table.
Il y a mille brocantes que, sous le soleil ou la pluie, je m’ennuie sur ma chaise et je rêve à l’amour, à la belle vie. Alors je joue au loto, je mets le ticket dans mon corsage, je me fais mon petit cinéma et la vie va…
Forcément ça devait arriver. J’ai gagné. Beaucoup. Au diable les brocantes, les chalands nonchalants ! Bradé mon trésor étalé sur la table ! Adieu aux vieux beaux bizarres, aux amours imaginaires ! Oubliés mes rêves ! Bonjour les voyages, les croisières, les villes d’eaux ; autant dire la fatigue, la nausée, la solitude, le vide…
Alors j’ai acheté un diamant, le plus gros possible, et je l’ai caché dans mon trésor étalé sur la table. Où ? Peut-être devineras-tu, toi mon Trésor, que c’est dans la Geisha et que la Geisha c’est moi. |
J’ai retrouvé les étoiles
J’habitais un lieu où les étoiles n’avaient plus le droit de briller, un lieu où seules les lumières de la ville avaient le droit de briller. C’était un lieu plein de lumière, de bruit, de mouvements, de gens. Il n’y avait pas de magie, juste de l’énergie dépensée dans le but de créer encore plus d’énergie, de la richesse, disent les économistes. C’était un lieu où les gens ne se regardaient plus, ils n’avaient donc pas besoin d’étoiles. J’ai quitté ce lieu et j’ai retrouvé les étoiles, je suis contente de les voir, simplement, sans en savoir plus. Je suis contente parce que c’est magnifique, tout simplement. — Liliane Faucher |
Un moment de flottement
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Dans ma tête Dave Brubeck déversait à tout casser le Blue Rondo à la Turk, aussi vite que moi dévalant comme un fou les marches du métro, montant quatre à quatre les escalators, bon Dieu d'bon Dieu encore, encore et me voici à trois pas d'une sortie sur la ligne quelle ligne je ne le savais plus. Soudain la sonnerie du téléphone. Allo ! C'est Suzy ça fait deux fois que j'appelle, si t’es en retard les Chinois vont annuler ! Je restai sans voix, j'étais foutu. Il faut que tu files, me dit-elle. J'ai couru comme dans un rêve le long des passages encombrés. Haletant, ma mallette à la main, je vacillais… ce pognon, je ne l'aurai pas volé. Pas de panique, j'ai reconnu le tapis roulant de la Gare Montparnasse. J'y suis entré... Le tapis était plein comme un œuf. Je flottais... je brûlais de fièvre. A côté, deux ou trois jazzmen faisaient le bœuf. Je voyais le long des murs illuminés de porcelaine défiler des palaces, le soleil, le ciel bleu... Dans ma main Suzy était là, elle me souriait et de nouveau le soleil a brillé. Dans un souffle elle m'a dit Vient j'ai la voiture tout près d'ici. Les murs, les gens tournaient puis quelqu'un m'a saisi par le bras. Avec la mallette je l'ai frappé alors le coup de poing a claqué ! Me clouant sur place. Oh Suzy, t'en fait pas Je te suis on y va les palaces, le soleil le ciel bleu toute la vie toute la vie... — Paul Sanson |
Foudre noire
Je suis le géant Je me morfonds dans le noir et le néant. L’univers et son mystère tiennent dans mon gant, Je chausse des milliards d’années-lumière, Pourtant l'univers, caillou d'obsidienne inscrutable, Me tourmente au fond de la chaussure. Je dis « chaussure », je dis boîte à chaussures ! J'y ai percé un trou noir, lourd comme mille galaxies, Mais dedans, n’est entré que le noir et le néant. J’ai percé un trou large comme ma bouche de volcan, Mais dedans, nada, rien, réant. Un trou d’ozone, un trou de mémoire, de souris, de serrure… Le noir et le néant. J’ai pris une aiguille aussi fine qu’un cheveu de Vénus, Je l’ai polie pendant mille ans En sa pointe étincelle un atome de tungstène, raide et solitaire. J’ai percé. Univers, voilà –en verlan– ton secret révélé : Foudre noire, arbre de vie. Univers, ton mystère est épinglé. |
Quand la lune se réveille
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Quand la lune se réveille,
C'est au tour du soleil,
D'aller dans son lit.
Il éteint la lumière,
Qui n'est qu'une stagiaire,
Et s'éteint lentement.
Pendant...
Que la lune mange son ptit dèj !
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Calor
– Vous vous prenez pour Dieu ! Méfiez-vous ! – Comment vous y prendrez-vous ? Il faut un projet concret mon ami ! C’est bien beau les idées… Nestor, avec un calme inébranlable, répondit à ces attaques, comme toujours, sans y répondre. Sur le ton d’un possédé et avec un rythme presque liturgique, il récita les étapes de sa proposition telles qu’elles étaient projetées sur le mur de la salle de conférence. – Installer d’abord une cage, qui délimite une étendue, avec une porte ouverte. Installer ensuite quelque chose de simple, quelque chose de vivant, quelque chose qui grandisse avec le temps. La salle de conférence était haute et froide. Les colonnes, dans le même style géométrique que le reste du ministère, étaient agencées avec une symétrie parfaite. Nestor poursuivit. – Placer sous la cage mon condensateur qualien et le démarrer après la dernière seconde d’ensoleillement, lors du premier jour du dernier cycle avant l’irruption. |
Les derniers mots faisaient frissonner l’assemblée. « L’irruption ». Ils étaient tous là à cause d’elle.
– Se cacher, sans rien dire, sans bouger. La vitesse de la condensation a été calculée avec exactitude par mon équipe. L’opération durera au total 1,618033 secondes. C’est toujours avec ce type de données précises que Nestor avait su se frayer un chemin dans les comités ministériels ou les membres politiques se laissaient convaincre avant tout par ce qu’ils ne pouvaient comprendre.
–
La différence de potentiel devra être maintenue pendant tout le cycle solaire.
Au bout de 11,2 ans, après la dernière seconde d’ensoleillement, nous
relâcheront le dispositif, pour une nuit. Une seule nuit, tous les 11,2 ans, ou
nous pourrons jouir de nouveau des couleurs. C’est le seul prix a payer pour
mon générateur perpétuel d’énergie propre.
Il y avait un prix à payer. L’audience le savait. Celui d’un
sacrifice d’ordre purement esthétique, pour ne pas dire poétique, semblait le
plus léger d’entre ceux qu’ils avaient entendus cette semaine.
– Lors de la nuit du relâchement, la violence de la vivacité
soudaine des couleurs et des contrastes sera atténuée par la pénombre nocturne.
Il n’y a pas d’accidents à prévoir, conclut Nestor.
Le silence paraissait impossible à briser. Pourtant, une
question surgit d’un coin indéterminé de la salle. Elle avait son importance.
- Quelle couleur choisirons-nous de garder ? - Qu’entendez-vous par là ? - Quelle couleur nous servira de support pour les étendues, les formes, dans la vie de tous les jours, pendant les 11,2 années ? Autrement nous risquons une déréalisation de l’espace sans la couleur ! - Nous prendrons la teinte la plus neutre de la couleur transparente. - Excusez-moi, mais « transparent » n’est pas une couleur ! - C’est la couleur du vent et de l’eau, rétorqua Nestor. Vous verrez. C’est une couleur qui ne fait pas de mal, elle est calme et sèche, elle est parfaite. Il fait beau. Marie regarde par la fenêtre. Son regard est attiré par le bouquet monumental de la place carrée. Elle ne peut pas voir les couleurs, bien sûr, elle est née dans un siècle noir et blanc. Ce que Marie ne sait pas, c’est que c’est son grand-père Nestor qui en est l’agent.
Son fiancé lui tient la main en regardant dans la même
direction qu‘elle, il fredonne un air plein de joie et d‘innocence. Parfois,
les mots ne suffisent pas, il nous faut des notes…
— Eleonore Sur |
Zébrures glacées
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Zébrures glacées Filant en zigzag Traces subtiles Noyées dans le noir Nuances de bleu Perdu dans l’orangé Du ciel oublié. — Sylvie Brugeal |
Le soleil s'éclipse
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Le soleil s'éclipse L'horizon jaune ocre S'impose au jour furtif Avant que la nuit ne s'éternise. — Sylvie Brugeal |
Amsterdam
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Petit poisson prisonnier de la piscine de béton, j'ai touché le fond. Ma mer est grise et carrée, les vagues sont fanées. Seul sous la glace vitrée, je vais et je viens... Putain ! je fais le tapin. Il entrera, c'est certain. J'entendrai fredonner Combien pour ce voilier dans la vitrine ? Le rideau s'arrachera, je serai dans ses bras.
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Marilyn B
Cela fait longtemps que Marilyn est sur la pointe des pieds, le bras étiré au maximum. Elle lance ses petits doigts tous azimuts mais ils sont trop courts. Elle se tend encore une fois de tout son corps, de toutes ses forces… ses doigts ne font que la frôler. Elle abandonne, et se laisse glisser vers le bas de l’étagère, abattue, le menton vibrant, retenant une larme, vexée. Je suis trop petite. Et en plus, c’est surement interdit. Tout est si différent chez Julie, les objets semblent magiques, habités, mystérieux. Tout à coup Marilyn entend la maman de Julie qui entre par le jardin, rapide, habile, légère, comme une brise. Elle a son sourire radieux habituel. Marilyn se fige. Son désir est si grand que ses yeux la trahissent et elle regarde encore une dernière fois intensément la petite poupée en bois sur l’étagère. La maman de Julie saisit cet indice en plein vol et lui sourit encore un peu plus. Elle s’approche de Marilyn, l’envahissant de son parfum fleuri et de sa lumière. |
– Tiens ! Tu peux jouer avec si tu veux ! Quelle fée ! Elle me comprend ! Et ça lui donne envie de pleurer complètement. C’est bête, mais qu’est-ce que j’ai ? Et elle se sent encore plus petite. Toute petite à côté de la maman de Julie. Elle est si gentille ! Comment a-t-elle fait pour deviner ? Quand je serais grande je serais comme elle. La poupée s’ouvre sous la pression innocente des doigts de Marilyn. Au milieu. Dans son bidon. Comme une boite. Ou comme une bouteille à la mer. Et dedans… C’est trop mignon ! Il y a une poupée plus petite ! Et dedans : une autre encore. Et une autre. Marilyn ne sait pas pourquoi, elle ne comprend pas, mais ça la rend heureuse de peler les couches de cette poupée. Elle se dit que dans la grande il y a un tas de petites. Et même une toute petite, tout au milieu, au chaud. Elles ont toutes la même tête, les mêmes yeux, avec plein de cils, bien peints. On dirait des images de livres ! Elles sentent la peinture, et les heures minutieuses d’un peintre penché sur elles. Ou bien est-ce une femme qui les a peintes ? Toutes pareilles. Identiques. Ça doit représenter du travail ! C’est magnifique ! Quelle patience, quelle minutie. Marilyn est touchée par ces détails. Ce sont des caresses sur chacune des poupées. Même la plus petite a tous les détails. Ils sont là. Tous. Quand la petite poupée va grandir, ses yeux et ses cils vont se gonfler comme les dessins sur un ballon d’anniversaire. On voit ce que ça donne sur la grande. Ce sera exactement comme ça. Marilyn a grandi. Elle vend les lambeaux de son rêve de petite fille sur les marchés. A bas prix. Elle voudrait devenir une poupée. En bois. Immobile. Avec des yeux délicats qui ne peuvent voir personne. — Eleonore Sur |
Loisa et Melius
Cliquer pour admirer Loisa
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Melius : Je suis à côté de toi. Loisa : Moi aussi, je suis à côté de toi et je viens de France. – Moi, je suis en transe. – Ça veut dire quoi « en transe » ? – Ça veut dire « je suis hypnotisé » – [ingénue] Ah bon, hypnotisé par qui ? – Par toi, chère Loisa Maria Catarina Orcelia Toilala. – [encore plus ingénue] Pourquoi ? – Parce que t'es MOCHE ! |
Oh mon bateau
Sur la route qui nous mène Loin du monde et des problèmes Je fuis (il fuit) Comme la gazelle aimable Aux grands cils de velours Je bondis de vague en vague Les mouettes me crient leur bonjour Bravant toutes les tempêtes Sifflant comme une alouette Je vole (il vole) Vers de fabuleux rivages Où je serai bientôt roi J'entends des rythmes sauvages Les algues dansent autour de moi Hop là Oh mon bateau Tu es le plus beau des bateaux Et tu me guides sur les flots Vers ce qu'il y a de plus beau Touaise lei plou bo des bateeeaauuuuu — Katz & Fierry / Desplat |
Porte-clés
Clé de porte, clé de boîte aux lettres, clé de cadenas, clé de contact, clé du coffre, clés du royaume, clés de la république, clé de sol, clé de fa, clé de guitare, clé des songes, clé de judo, clé de voûte, clé du bonheur, clé des champs, clé du paradis, clé du destin, clé de la réussite, clé de la vie, clé de l'univers, clé du succès, clé des WC, clé passe-partout, clé anglaise, clé dynamométrique, clé à molette, clé de douze, clé à sardines, clés du Vatican, clé de Saint Pierre, clé USB, clé de sécurité, clé publique, clé quantique, clé de lecture, clé du film, clé du mystère... — Paul Sanson |
Automne mosaïque
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Automne mosaïque En damier gaufré De tesselles dorées. Pastel de feuilles jaunies En grappe fauve. — Sylvie Brugeal |
À pas de velours
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À pas de velours Je mets mes pas dans les tiens. Donne-moi juste une raison D'être l'électron libre qui se perd Dans les profondeurs de ton âme. Tu es assurément Mon élément vivant. N'oublie pas que le temps passe. Laissons les blessures latentes S'envoler de notre mémoire Et rejoindre l'obscurité. Encensons le jour nouveau. Le coeur à l'envers, Devant l'éternel je te consacre Le plus beau matin du monde. — Sylvie Brugeal |
La mariée coupée en deux
La mariée était coupée en deux. Sur la photo, elle portait son visage comme un masque, aussi figé que le masque de mort de la victime, gisant sur le lit derrière moi. En entrant dans la petite chambre, je l'ai contemplée longuement, pale et froide sur le plaid brodé d'argent. Elle était étendue dans son ample robe immaculée avec comme seule parure sur le cœur, une fleur écarlate au pistil orné d'émeraudes de saphirs et de rubis – le manche délicat d'une dague aiguë. Le marié était absent – effacé dans l'ombre de la photo ? partout absent dans la chambre peut être même dans le château. Était-il parti le jour des noces, tel Ulysse pour un long voyage ou bêtement comme Jean-Pierre descendu acheter des cigarettes, la laissant seule sur la photo. Combien de temps Pénélope l'a t-elle attendu ? la photo fanée dit : trop longtemps. Lucas était resté planté à la porte. Il murmura dans mon dos : on dirait la belle dame d'un conte, plongée dans le sommeil éternel. Janvier qui avait commencé à ouvrir les tiroirs ajouta plus prosaïque : la pièce est vide, pas de linge, pas d'objets, rien. – Si répondis-je il y a cette photographie, c'est la clé du mystère. — Paul Sanson |
Soleil oblongue
Les nuages s'effilochent Sous le regard coloré Du soleil oblongue Qui s'endort dans la nuit. — Sylvie Brugeal |
Voilà, c'est ici
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Lui : Voilà, c'est ici, tu peux ouvrir les yeux. Elle les ouvre et sourit en silence. Lui : Alors ? Elle : Je comprends. Lui : Le reflet est plus vivant n'est-ce pas ? Elle : Oui, il bat, il est léger, il sent bon... Lui : Et il a une peau. Elle : Oui, elle est si proche ! ... on voudrait la caresser! Elle : Vite ! mes pinceaux... — Eleonore Sur |
Porte parole
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Prenez cette porte jaune. Pourquoi n'aurait-elle pas droit à la parole ? Personne ne l'écoute, personne n'y fait attention. Un jour qu'elle tremblait et tapait sous l'implacable lumière du mistral fou, un passant se moqua : tu es vielle et dégondée, arrête de battre tu va claquer. Chauffé par le soleil et la colère, le goudron qui baigne les veines de son bois lui est monté aux joues. Elle a fait la tête, et pas contente ! Les mots ont poussé comme des boutons, serrés et se montant dessus. Le passant, surpris par la révélation de ce palimpseste mal lavé, scruta les bribes bredouillées et n'y compris rien. C'est pas grave, dit-il, c'est l'intention qui compte. — Paul Sanson |
Ce nuage est bien noir
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Ce nuage est bien noir : - sur le ciel il se roule, Comme sur les galets de la côte une houle. L'ouragan l'éperonne, il s'avance à grands pas. - A le voir ainsi fait, on dirait, n'est-ce pas ? Un beau cheval arabe, à la crinière brune, Qui court et fait voler les sables de la dune. Je crois qu'il va pleuvoir : - la bise ouvre ses flancs, Et par la déchirure il sort des éclairs blancs. Rentrons. — Théophile Gautier, Pluie |
Métamorphose
Le marteau brise la faïence en esquilles concassées, explose les assiettes en éclats de porcelaine fracassés. La lourde masse fait craquer la céramique, la broie en miettes. La poussière acre monte, les gravats fument. Tout est éparpillé par petits bouts, façon puzzle. Il faut s'armer de patience et de colle. L'esprit doit se rendre, s'éteindre et laisser faire l'œil. C'est l'œil qui navigue dans les vestiges, les débris. Insatiable, il explore les fragments : il compose, écarte, marie. Alors la main soumise et précise agrège, enchâsse, ajuste et scelle. Bientôt tout n'est qu'harmonie. L’œil repus se ferme, l'esprit s'éveille et s'ouvre. — Paul Sanson |
Sidération
| L'été, le Château de la Rochefoucauld revit dans la cohue des touristes. Moi Le Photographe, ça m'énerve et ça me saoule. J'en suis sorti en mode zombie. Mon fidèle Leica à la main, j'ai dû errer dans la lumière calcaire des rues du bourg avant de me souvenir que je cherchais ma bagnole (une Simca 1000 de 63, celle avec les sièges en skaï rouge sang). J'ai enfilé une courte venelle et soudain me voilà cloué, sidéré. A mes pieds, l'ombre de la vieille ville déverse son goudron sur la plage. A l'horizon, le ciel a la couleur de la mer. Au zénith, le soleil brûle tout. Est-ce un tanker arrimé au lampadaire ? Est-ce un bunker échoué à la côte ? Que fait ce vaisseau spatial scotché dans la lumière ? Pas âme qui vive sur l'esplanade desséchée, pas un chat, pas une Simca. Le silence est éternel, le temps est réfuté. — Paul Sanson |
There are doors
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Darling I tried to say good-bye last night, but you wouldn't listen. I'm not a coward, really I'm not. If it weren't for the doors I wouldn't tell you a thing―that would be the best way. You may see one, perhaps more than one, at least a little while. It will be closed all around. (They must be closed on all sides.) It may be a real door, or just something like a guy-wire supporting a phone pole, or an arch in a garden. Whatever it is, it will look significant. Please read carefully. Please remember everything I'm saying. You must not go through. If you go through before you realize it, don't turn around. If you do, it will be gone. Walk backward at once. — Lara PS: You always put these on, don't you? At the end. At the end, I loved you. I really did. (Do.) |
Écorché
Animal pédantesque, terrassé sur ta fresque : révises donc tes charmes, tes exploits majuscules. Apollon te désarme, te désosse et t'annule ! — Eleonore Sur |
La petite école dans le mauvais temps
Dans les clapotements furieux des marées, Moi, l'autre hiver, plus sourd que les cerveaux d'enfants, Je courus ! Et les Péninsules démarrées N'ont pas subi tohu-bohus plus triomphants. La tempête a béni mes éveils maritimes. Plus léger qu'un bouchon j'ai dansé sur les flots Qu'on appelle rouleurs éternels de victimes, Dix nuits, sans regretter l’œil niais des falots ! — Arthur Rimbaud, Le bateau ivre |
Hommage au navire du Douanier Rousseau
La Veilleuse musicale Le Monde
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Usage tous âges. Pour rassurer l'utilisateur lors de son sommeil grâce à sa lumière douce et apaiser ses angoisses au réveil en lui conférant une sensation de contrôle. Trois Modes d'utilisation : - En pressant l'unique bouton, la lumière s'intensifie et le mouvement de la foule s'apaise. - Des que le bouton est actionné une deuxième fois, la veilleuse émet une musique sécurisante et réconfortante au rythme d'un battement cardiaque maternel. - A la troisième pression du bouton, les couleurs alternent sur un cycle de 3 tonalités basiques jour/crépuscule/nuit ou nuit/aurore/jour. Très facile d'utilisation. Rechargeable sur son socle (livre avec chargeur, alimentation basse tension). Double intensité réglable pour économie d'énergie. Durée extra-longue jusqu'à 11,2 années. Ne présente aucun risque photo biologique. Le Monde est 100% recyclable. Norme CE.
— Eleonore Sur
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A propos de l'Installation "Le monde en Marche" de Fabien Chalon à la Gare du Nord, Paris 2009
Le vallon
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Dans ombre de ce vallon Pointent les formes légères Du Rêve. Entre les bourgeons Et du milieu des fougères Émergent des fronts songeurs Dans leurs molles chevelures, Et des mamelles plus pures Que le calice des fleurs. — Cécile Sauvage, Fumées |
Clown tragique
L'art du clown va bien au-delà de ce qu'on pense. Il n'est ni tragique, ni comique ; il est le miroir comique de la tragédie et le miroir tragique de la comédie. — André Suarès |
My original brother typewriter decoded
Photo: Brother Typewriter
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My Original Brother Typewriter
My old brother typewriter is very worn out, It no longer types the letter t, And for some illogical reason, Always prints a double letter p, It only produces an upper case i, Also, I have no Idea why it underlines y. It doesn’t quite abide by the rules that follow q, It tries to operate the arm for the letter that comes before u, Think back to the problem I had in the first place, So to print t and u it just leaves a space. — Philip Wood |
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