Remake de la piscine

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Une semaine que je planque depuis la tour du château qui domine le petit bled périgourdin de Bourdeilles. Perché, avec mes copains les pigeons je zieute le couple de retraités au bord de la piscine de la très discrète « hostellerie ». C’est pas vraiment une piscine, pas vraiment des retraités et je ne suis pas vraiment un paparazzi, au moins sur ce coup. Cette fois, mes photos ne finiront pas dans Voilà, Marie Patch ou Gaga ; c’est une commande juteuse pour Armand de Laène, le puissant vice sous-secrétaire de l’AAAA (Association des Amateurs d’Amour Absolu). Quant aux « clients » qui ont réservé sous le (faux) nom de Mr. et Mme Delong pour 3 jours 2 nuits, ce sont d’anciennes gloires du cinéma. Ils ne font plus le buzz mais ils aiment encore les rendez-vous secrets, ah les beaux jours !
Ils se sont connus en 69 alors qu’ils débutaient sur la « piscine » (3 jours 2 nuits de tournage), où de Laène était second assistant régisseur. Ce fut une passion simple, bizarrement platonique et muette. Contenue derrière les lunettes noires, elle a pourtant irradié les acteurs, ionisé l’eau de la piscine, brûlé la pellicule. Le jeune Armand, déjà détecteur amateur d’atomes crochus, rêvait en coulisses de romance par procuration. Mais voilà, il n’est rien arrivé. Ils sont retournés à leurs foyers, à leurs contrats et ont peu à peu drifté dans la rat race. Le hasard ne les réunit qu’une fois, brièvement, quand elle fut chargée de lui remettre le César pour « l’ensemble de son œuvre » ; c’était il y a un mois.
De Laène m’a prévenu « t’as intérêt à sous-exposer, ils vont cramer ta péloche ! ». Il a bien raison, leur bonheur illumine leur petit théâtre, paradis coloré perdu dans la grisaille. Chance ! A leur insu il y a trois spectateurs, un voyeur et deux pigeons, pour deux acteurs. Ils sont donc autorisés à jouer le dernier acte de la pièce de leur vie. Pas besoin de costumes ni de lunettes noires pour une passion simple devenue bonheur simple, 3 jours 2 nuits de bonheur simple.

Paul Sanson

La piscine