Dans l'interminable

Dans l'interminable
Ennui de la plaine,
La neige incertaine
Luit comme du sable.

Le ciel est de cuivre
Sans lueur aucune,
On croirait voir vivre
Et mourir la lune.

Comme des nuées
Flottent gris les chênes
Des forêts prochaines
Parmi les buées.
...

— Paul Verlaine. Romances sans paroles (1874) - extrait

Ponctuations

Ce n'est pas pour me vanter,
Disait la virgule,
Mais, sans mon jeu de pendule,
Les mots, tels des somnambules,
Ne feraient que se heurter.

C'est possible, dit le point.
Mais je règne, moi,
Et les grandes majuscules
Se moquent toutes de toi
Et de ta queue minuscule.

Ne soyez pas ridicules,
Dit le point virgule,
On vous voit moins que la trace
De fourmis sur une glace.
Cessez vos conciliabules
Ou, tous deux, je vous remplace!

— Maurice Carême (1899-1978)

Soleil couchant

Aquarelle Gérard Miro
Les ajoncs éclatants, parure du granit,
Dorent l'âpre sommet que le couchant allume ;
Au loin, brillante encore par sa barre d'écume,
La mer sans fin commence où la terre finit.

À mes pieds, c'est la nuit, le silence. Le nid
Se tait, l'homme est rentré sous le chaume qui fume.
Seul, l'Angélus du soir, ébranlé dans la brume,
À la vaste rumeur de l'Océan s'unit.

— José Maria De Hérédia (extrait)

L'arbre rouge

Dessin My
Sur l'arbre rouge, as-tu-vu
Le corbeau noir ?
L'as-tu entendu ?
En claquant du bec, il a dit
Que tout est fini ;
Les fossés sont froids,
La terre est mouillée.
Nous n'irons plus rire et nous cacher
Dans la bonne chaleur du blé.
Le corbeau noir a dit cela,
En passant,
Dans l'arbre rouge couleur de sang.

— Marguerite Burnat-Provins

Dans Le Havre

Aquarelle Gérard Miro
Lasse comme les flots, lasse comme les voiles,
J'entre dans le doux port plein d'embruns et d'étoiles.

Depuis des temps, j'ai vu les plus divins climats
Et je dors en ce havre où sommeillent des mâts.

Mon esprit s'est tourné vers des rêves plus sages,
Je désapprends enfin l'ardeur des longs voyages.

Tant de rires dorés viennent vous décevoir
Que l'on se sent moins de jeunesse vers le soir...

— Renée Vivien - Dans le Havre - (extrait)

Rêverie

Aquarelle Gérard Miro
Alors que sur les monts l'ombre s'est abaissée,
Des jours qui ne sont plus s'éveille la pensée ;
Le temps fuit plus rapide, il entraîne sans bruit
Le cortège léger des heures de la nuit.

Un songe consolant rend au cœur solitaire
Tous les biens qui jadis l'attachaient à la terre,
Ses premiers sentiments et ses premiers amis,
Et les jours de bonheur qui lui furent promis.

Calme d'un âge heureux, pure et sainte ignorance,
Amitié si puissante, et toi, belle espérance,
Doux trésors qui jamais ne me seront rendus,
Ah! peut-on vivre encore et vous avoir perdus !

— Amable Tastu - Poésies (1826)

Le Gypsophile

Dans la pâle lumière
D'un après-midi d'hiver
Le Gypsophile
Immobile
Se tient tranquille
Dans son écrin
Vert chlorophylle
Et contemple le jardin
De ses mille petits yeux
Qui forment un beau camaïeu.

— Gérard Miro

Le grand chêne

Le grand chêne tend vers le ciel ses grands bras décharnés dans une supplique sans espoir. Le grand chêne se meurt.
Une gangue épaisse, vivante, impitoyable l’étreint et l’étouffe.
Des chants d’oiseaux nombreux, joyeux s’échappent de l’épais matelas vert luisant.
Le grand chêne se meurt accompagné d’un requiem continu, heureux.

— Liliane Faucher

Le retour du soleil

Aquarelle Gérard Miro
Pour le retour du Soleil honorer,
le Zephir, l'air serein lui apareille,
et du sommeil l'eau et la terre esveille,
qui les gardoit l'une de murmurer,

en dous coulant, l'autre de se parer
de mainte fleur de couleur nompareille.
Ja les oiseaux es arbres font merveille,
et aux passants font l'ennui modérer ;

les Nynfes ja en mile jeus s'esbatent
au cler de Lune, et dansans l'herbe abatent.
Veus tu Zephir de ton heur me donner,

et que par toy toute me renouvelle ?
Fay mon Soleil devers moy retourner,
et tu verras s'il ne me rend plus belle.

— Louise Labé - œuvres poétiques - Sonnet XV

Rêves d'automne

Aquarelle Gérard Miro
Salut ! bois couronnés d'un reste de verdure !
Feuillages jaunissants sur les gazons épars !
Salut, derniers beaux jours ! Le deuil de la nature
Convient à la douleur et plaît à mes regards !

Je suis d'un pas rêveur le sentier solitaire;
J'aime à revoir encor, pour la dernière fois,
Ce soleil pâlissant, dont la faible lumière
Perce à peine à mes pieds l'obscurité des bois !
... 

— Alphonse de Lamartine, Rêves d'automne

La pente de la rêverie

Aquarelle Gérard Miro
Alors, dans mon esprit, je vis autour de moi
Mes amis, non confus, mais tels que je les vois
Quand ils viennent le soir, troupe grave et fidèle,
Vous avec vos pinceaux dont la pointe étincelle,
Vous, laissant échapper vos vers au vol ardent,
Et nous tous écoutant en cercle, ou regardant,
Ils étaient bien là tous, je voyais leurs visages,
Tous, même les absents qui font de longs voyages...

— Victor Hugo - La pente de la rêverie (extrait)

Aquarelle Gérard Miro
Adieu, passé, songe rapide
Qu’anéantit chaque matin !
Adieu, longue ivresse homicide
Des Amours et de leur festin,
Quel que soit l’aveugle qui guide
Ce monde, vieillard enfantin !
Adieu, grands mots remplis de vide,
Hasard, Providence ou Destin !
Fatigué dans ma course aride
De gravir contre l’incertain,
Désabusé comme Candide
Et plus tolérant que Martin,
Cet asile est ma Propontide :
J’y cultive en paix mon jardin.

— Beaumarchais (1732-1799)
Inscription placée dans son jardin, au fond d’un bosquet.

La guerre des bleus et des marrons

Les bleus étaient courageux
Les marrons n'étaient pas des poltrons
Ils se firent la guerre
Mais à la guerre, tout le monde perd
Si bien
Qu'à la fin
Les bleus avaient reçu des marrons
Et les marrons étaient couverts de bleus
Ils comprirent alors
Qu'ils avaient eu tort
Qu'il n'y a pas de couleur
Aux autres supérieure
Et que c'est en étant unis
Qu'on trouve l'harmonie.

— Gérard Miro

Ma huppe

Venue d'Afrique
Fière et magnifique
Cri rauque, chant étrange
Huppe relevée à l'humeur
Bec tel un sabre, prêt à l'usage
Vêtue de motifs africains
Tellement exotique dans un jardin
habité de moineaux, merles et mésanges
Herbes sèches et plantes du Sud lui
donnent un écrin apprécié
Nous, nous sommes sous le charme,
l'admirons et l'espérons chaque année.

— Liliane Faucher

Petit matin

Le soleil se glisse entre les grands pins
Doucement, tendrement, ses rayons réchauffent
les buissons puis les fougères et enfin les mousses
L'air sent bon la végétation qui s'éveille
La mousse dorée, épaisse, encore humide accueille
avec douceur nos pas
Quelques orchidées sèchent lentement et n'oublient pas
de répandre quelques graines
Des pommes de pin posent ça et là
Les oiseaux commencent doucement un chant mélodieux
Harmonie parfaite de la Nature, magie du moment, bonheur précieux.

— Liliane Faucher


Rêve de jardin

Herbes folles
Trémière sentinelle
Porte close, rêve de jardin
Pêle-mêle de feuilles, fruits et corolles joyeuses
Chat bercé par la mélodie des oiseaux
Jardinier affairé de mille gestes nourriciers
Lézards verts parés de magnifiques turquoises
Fontaine glougloutant une fraicheur apaisante
Papillons alourdis de pollen
Caresse tendre d'une brise marine
Porte refermée sur un rêve de jardin.

— Liliane Faucher

Le kiosque à musique

C'est dimanche
Quelle chance !
Dans le kiosque à musique
L'orchestre joue
Les musiciens s'appliquent
Les enfants font les fous
Un couple danse
En cadence
Les promeneurs s'arrêtent
Intrigués par cette fête
Puis cherchent une chaise
Bien installés, ils se mettent à l'aise
Pour écouter les airs d'antan
Que fredonnaient leurs parents
Et quand vient le refrain
Tous applaudissent des deux mains.

— Gérard Miro

Vol d'oiseaux migrateurs

Une espèce de danse au carrefour des cieux
Et, planant en silence, en leur envol gracieux,
Regardez-les signer, dessiner dans l'espace
Les lignes d'une lettre, un rêve qui s'efface.

Venant d'on ne sait où, allant dans un ailleurs,
Ils quittent nos hivers, les oiseaux migrateurs
Et crient leur liberté, sans prison ni barrière,
En leurs pépiements d'école buissonnière.

Nous, nous ne bougeons pas, au gré de nos saisons
Eux nous laissent le froid, blottis en nos maisons,
Nous cherchons dans la vie à laisser une trace,
Eux, ils vont de l'avant et nous laissent sur place.
… 

— Charly Lellouche (extrait)

Promenade à vélo

Dessin My
Me promener à vélo,
Le matin tôt.
Respirer l'air frais
Dès l'aube me rend gaie.

Moments de liberté,
Parmi les fleurs rosées.
Roulant à toute allure,
Le vent en pleine figure.

J'ai ce sentiment infini
D'être en paix avec la vie
Et surtout avec moi-même,
Oubliant toutes mes peines.

Grâce au chant des oiseaux,
A l'odeur des coquelicots

Enfin le temps de regarder,
Enfin le temps de respirer,

Enfin le temps de rire,
Enfin le temps de vivre.

— Poème de Florence Levardon

Printemps

Gérard Miro
Voici donc les longs jours, lumière, amour, délire !
Voici le printemps ! mars, avril au doux sourire,
Mai fleuri, juin brûlant, tous les beaux mois amis !
Les peupliers, au bord des fleuves endormis,
Se courbent mollement comme de grandes palmes ;
L'oiseau palpite au fond des bois tièdes et calmes ;
Il semble que tout rit, et que les arbres verts
Sont joyeux d'être ensemble et se disent des vers.
Le jour naît couronné d'une aube fraîche et tendre ;
Le soir est plein d'amour; la nuit, on croit entendre,
A travers l'ombre immense et sous le ciel béni,
Quelque chose d'heureux chanter dans l'infini.

— Victor Hugo (Toute la lyre)

Le vent


Dessin My Miro
Les anciens en avaient fait un Dieu : Éole
Capable du pire comme du meilleur
Le vent fait s'envoler les chapeaux
Fuir les moineaux
Annonce la pluie
Retourne les parapluies
Dépouille les arbres à l'automne
Fait claquer les portes
Provoque des bruits de toutes sortes.
Le vent est parfois un défi
Mais qui disperse les confettis
Pour la joie des enfants ?
Fait tourner les ailes des moulins ?
Fait avancer les voiliers ?
Sèche les vêtements étendus dans la cour ?
Dans ces cas-là, on est bien content
Et on lui dit « merci », au vent.

— Gérard Miro

Confettis

Photo gérard Miro
Si tu dis oui,
Confetti.
Si tu dis non,
Cotillon.
Si tu dis oui,
Accroupi.
Si tu dis non,
Tourne en rond.
Si tu ne dis
Ni oui, ni non,
Tourne en rond,
Accroupi.
Cotillons et confettis.

— Comptine

Retard coupable

J'étais arrivé très en retard
à mon rendez-vous.
Il faisait un froid de canard.
Malgré ce froid et cette neige,
elle m'avait attendu, c'est fou !
Honteux et désespéré
j'allais éclater en sanglots
lorsque derrière moi,
j'entendis sa voix !
Lassée de m'attendre,
elle avait construit cette statue
de glace à son image
puis s'était cachée à proximité
pour surgir au bon moment
et me faire peur.
Ah, la bonne farce !

— Gérard Miro


Les Hiboux

Ce sont les mères des hiboux
Qui désiraient chercher les poux
De leurs enfants, leurs petits choux,
En les tenant sur les genoux.
Leurs yeux d'or valent des bijoux,
Leur bec est dur comme cailloux,
Ils sont doux comme des joujoux,
Mais aux hiboux, point de genoux !
Votre histoire se passait où ?
Chez les Zoulous ? Les Andalous ?
Ou dans la cabane bambou ?
A Moscou ou à Tombouctou ?
En Anjou ou dans le Poitou ?
Au Pérou ou chez les Mandchous ?
Hou ! Hou !
Pas du tout, c'était chez les fous.

— Robert Desnos

Zorro et le marteau

Je m'appelle Zorro
Je suis un robot
Supérieurement
Intelligent.
Je suis programmé
Pour être polyvalent.
A cause de mes talents,
Je vous le dis en aparté,
Plein de gens perdent leur boulot
Un sacré coup sur le ciboulot !
Mais je n'ai pas d'état d'âme
Je ne fais qu'obéir
Et servir
Et si pour eux, c'est un drame
Pour moi, tout va bien
Aïe ! non mais ça va bien ?
On me frappe à coups de marteau !
Aïe, bobo!
Allô, Assistance-robots ?
Ici Assistance-robots...
Que se passe-t-il, Zorro ?
Allô ?
Vous m'entendez, Zorro ?
Zorro ?

— Gérard Miro

Les Druides ne reviendront plus

Ils se sont invités
Sans prévenir
Mais ces beaux arbres élancés
Savent accueillir
Et s'entendent merveilleusement
Avec leurs parasites charmants
La vie est fragile
Mais dormez tranquilles
Et sans aucun souci
Belles boules de gui !
Les Druides ne reviendront plus
Les Gaulois ont disparu
Et vous êtes trop haut placés
Pour qu'on vienne vous déranger.

— Gérard Miro

L'automne en cravate

Sur ses habits verts, la vigne vierge
arbore une cravate multicolore.
Subtil mélange de roses,
jaunes-orangés, verts argentés.
Soudain, un grand tourbillon
fait tout virevolter.
Les feuilles deviennent papillons,
Bouquet final
aux couleurs de l'automne.

— Gérard Miro

Dessin (assisté par ordinateur) : My

El reloj de arena

El reloj de arena
Juega
A llenarse de luz
A vaciarse de sombra.
Nosotros le damos vuelta
Jugamos a no perdernos
No vaciarnos de luz
No llenarnos de sombra.

— J.H. Cadavid (poète colombien)

Le sablier
Joue
A se remplir de lumière
A se vider d'ombre.
Nous le retournons
Jouons à ne pas nous perdre
A ne pas nous vider de lumière
A ne pas nous remplir d'ombre.

Le plus dur

Un soleil jaune
Dans un ciel bleu
Une tache jaune
Sur un fond bleu
Boum ! l'orage éclate
Un éclair rend le sol écarlate
Adieu
Temps radieux
Ajoutons du gris
Pour figurer la pluie
Un coup de vent
Et vlan !
Le dessin par terre
Quelle misère !
Face à l'adversité
Il faut persévérer
Sur l'œuvre inachevée
Laissons le pinceau vagabonder
Mais à la fin
Il faut bien
S'arrêter
Ultime difficulté
Car décider
Que c'est terminé
C'est le plus dur
En peinture.
— Gérard Miro

Selon la tradition

Selon la tradition, un navire portant des marchands de nitre vint y aborder (Phénicie) et comme les marchands, dispersés sur le rivage, préparaient leur repas et ne trouvant pas de pierres pour exhausser leurs marmites, ils les remplacèrent par des mottes de nitre tirées de leur cargaison.
Quand celles-ci se furent embrasées, mêlées avec le sable du rivage, des ruisseaux translucides d'un liquide inconnu se mirent à couler et telle fut l'origine du verre.

— Pline l'ancien (Histoire naturelle - extrait)


Cheveux d'ange

Les cheveux d'ange dansent gracieusement dans le vent,
Les abeilles butinent avec ferveur les lavandes,
Quelques rares papillons passent indifférents aux corolles offertes,
Corolles de lumière et graines riches d'avenir se mêlent sans artifice,
Des acanthes imbues de leur raideur piquante observent.
La huppe est sûre de trouver une friandise en ce lieu.
Les lucioles, minuscules étoiles terrestres, espèrent un compagnon.

Là-haut, les étoiles nous offrent l'infini,
De jour, de nuit, mon jardin est mon énergie.

— Liliane Faucher


Le coin du fakir

Bon endroit pour faire la sieste,
à condition d'être un fakir.
En général, les racines des arbres
poussent de haut en bas,
mais dans le monde végétal,
comme chez les humains,
il y a des originaux
qui ne font rien comme les autres.
On n'en rencontre pas si souvent
et c'est ce qui les rend intéressants.

— Gérard Miro

Rosebud

Sur une île de fer
Face à une île de craie
Des hommes rudes montent des pylônes
Des ventilos pour chatouiller Éole.

Petites filles le nez sucré dans la barbe à papa 
Petits garçons essoufflés dans les moulins multicolores
— Qu’est-ce tu feras quand tu seras grand ?
— Je ferai les choses en grand !

Parents, faites gaffe aux Rosebuds
Que vous offrez aux enfants.

— Paul Sanson

La mer au bout du chemin

Le chemin sinue doucement à travers les champs de blé vert pâle
Une arche végétale glorifie le passage vers la mer
Les chants de centaines d'oiseaux voletant au-dessus des champs de blé composent une symphonie joyeuse
Au loin, la mer scintille dans le doux soleil du matin
Le promeneur se laisse envelopper par une incroyable plénitude.

— Liliane Faucher

Fragiles pétales de lumière

Fragiles pétales de lumière
Ephémères dans la brise du matin
Grâces infinies si vite emportées
Squelettes de pierres dures et froides
Impassibles dans les vents violents
Mémoires de la vie oubliée.

— Liliane Faucher

Ulysse et les Sirènes

Amis, il ne faut pas qu'un ou deux seulement connaissent les oracles que m'a transmis Circé, la divine déesse. Je vais donc vous les dire, afin que nous sachions ce qui peut nous perdre ou ce qui peut nous permettre d'éviter et de fuir la mort et le trépas. Circé tout d'abord nous ordonne d'éviter la voix et la prairie en fleurs des merveilleuses Sirènes. Elle m'engage seul à écouter leur voix. Mais il faut que vous m'attachiez avec des liens solides, que je reste immobile, debout contre le mât, où vous nouerez les cordes. Et si j'en venais à vous supplier et à vous ordonner de me détacher, serrez-moi sur-le-champ en des liens plus nombreux.

— L'odyssée - chant 12 - Homère

Blanc à remplir sur la carte voyageuse du pollen


Dessin Gérard Miro
N'y eût-il dans le désert
qu'une seule goutte d'eau qui rêve tout bas,
dans le désert, n'y eût-il qu'une graine volante
qui rêve tout haut,
c'est assez,
rouillure des armes, fissure des pierres, vrac des ténèbres
désert, désert, j'endure ton défi
blanc à remplir sur la carte
voyageuse du pollen.

— Aimé Césaire

À Aurore

Dessin Gérard Miro
La nature est tout ce qu'on voit,
Tout ce qu'on veut, tout ce qu'on aime,
Tout ce qu'on sait, tout ce qu'on croit,
Tout ce que l'on sent en soi-même.

Elle est belle pour qui la voit,
Elle est bonne à celui qui l'aime,
Elle est juste quand on y croit
Et qu'on la respecte en soi-même.

Regarde le ciel, il te voit,
Embrasse la terre, elle t'aime.
La vérité c'est ce qu'on croit
En la nature c'est toi-même.

— George Sand, Contes d'une grand-mère. 1873



Anatolie

Anatolie escarpée et sauvage,
Terre-mère qui se nourrit
Des éclats de voix
Du poète-écrivain.
Des crêtes enneigées
Aux plaines verdoyantes,
L’écho glacé du vent
Sème ses notes dissonantes
De nouvelles écrites
Au rythme lent des saisons.
L’homme érudit s’enivre
De notes florales
Qui éclatent en corolle
Au cœur des paysages enfiévrés.
Danse la montagne sacrée,
L’âme égarée égraine ses mots
Sculptant pour l’éternité
L’histoire humaine
Des peuples égarés.

— Sylvie Brugeal

La lessive

Quand chacun
Est décidé
À y mettre du sien
Il ne faut pas hésiter à laver
Son linge sale en famille
« La lessive, c'est un travail de fille »
Dit le garçon
Qui fait des bulles de savon
La fille trie les chaussettes
Et les serviettes
Qu'elle ne mélange pas avec les torchons
Car elle connaît le dicton
Le père conseille fort
À chacun de ménager ses efforts
Pour ne pas finir « lessivés »
La mère qui justement
À ce moment
Commence à fatiguer
Annonce qu'elle va mettre en route
La machine. Le garçon crie : « En avant, toute ! »
Mais où est passée la chatte ?
Demande la mère... Ah !, je vois une patte
Elle s'était cachée dans le tambour !
De bêtises, elle n'est jamais à court
Eh bien ! ma belle,
Tu l'as échappé belle !

— Gérard Miro

Le sac poubelle

Un sac poubelle
Sur un arbre perché
Sentinelle
Dans le ciel bleuté
C'est moins naturel qu'une hirondelle
Sa présence nous interpelle
C'est la faute au vent
Forcément
Disent les gens
En passant
Sans être devin
On peut avoir une idée du destin
De ce plastique abandonné
Les corbeaux viendront le picorer
Il va se fragmenter
Et s'éparpiller
A moins qu'il ne soit décroché
Par un employé de la municipalité
Pour être recyclé
Pourquoi ne pas croire aux contes de fées ?
Une éventualité
Qui permet à cette histoire
De nature abîmée
De se terminer sur une note d'espoir.

— Gérard Miro

Rue des Mésanges

Quelque part sur une île de la mer
Sainte-Marie, sous le ciel de craie
Forcément.

Dans la rue des Mésanges
Nichent de drôles d’oiseaux
Distraits.

Chaque jour, ils suivent les Mésanges
Et visitent la rue du Paradis
À l’angle.

Le panneau « Rue des Mésanges »
S’estompe tel la Peau de Chagrin
De Valentin.

Ce n’est que le Temps qui passe
Le temps des mésanges, envolé
Bientôt.

Oiseaux distraits, suivez les mésanges
Entrez dans la rue du Paradis
Avec les anges.

— Paul Sanson

Entangled life

Personne ne sait dire quand...
sont apparus les premiers lichens.
Qui de l'algue ou du champignon
a offert la première graine.

Cette symbiose d'extravertis,
assemblage de science-fiction,
explore les géométries
à la moindre provocation.

Comme eux, nous demeurons
indéfinissables anatomiquement.
Assistés par nos démons :
un bestiaire microscopique.

L'individu n'est qu'une collection
d'occurrences zoologiques
collaborant dans la compétition
en un orchestre héroïque.

Nous devrions semble-t-il sans peine
sentir ce qui nous lie aux lichens.

—  Eleonore Sur

Inspiré par Entangled life de Merlin Sheldrake : pages 70-93, The intimacy of strangers.

Les griffonnages de l'écolier

Charle (sic) a fait des dessins sur son livre de classe.
Le thème est fatigant au point, qu'étant très lasse
La plume de l'enfant n'a pu se reposer

Qu'en faisant ce travail énorme: improviser
Dans un livre, partout, en haut, en bas, des fresques
Comme on en voit aux murs des Alhambras moresques
Des taches d'encre, ayant des aspects d'animaux
Qui dévorent la phrase et qui rongent les mots
...

—  L'art d'être grand-père - 1877- Victor Hugo - extrait
Les griffonnages sont de l'écolier Gérard Miro en personne.

Ce qui sert à Rien

Au début, il y avait Rien.
Rien, au bord du néant d’ennui,
Se posa la question : « Pourquoi y a-t-il Rien ? »

Essayant de résoudre ce problème méta,
Rien expérimenta beaucoup, sans succès,
Et il en résulta un bazar pas possible : Le Monde.

Le monde actuel est donc un tentative ratée,
N’injurions pas l’avenir, disons « Non encore aboutie »
De répondre à une question méta sur Rien.

Si par malheur, Le Monde résolvait la question,
Il ne servirait plus à Rien.

— Paul Sanson

Norse Inferno

Converting frozen ice,
Into molten lava,
Requires a wizard’s wand,
Or mere tricks of your camera.

Alpine glaciers, dirty white,
Be Pacific’s ring of fire.
Clicks of adobe genius,
Creates hell to admire.

— Philip Wood


Je pense donc j'oublie

Qu'est ce qui fait tourner la terre ?
Comment s'est créé l'univers ?
Pourquoi tant
De galaxies ?
Des astres si grands
Et d'autres si petits ?
Et des trous noirs ?
Qu'y a-t-il derrière ? Allez savoir !
Big Bang
Mes certitudes tanguent
Tant de questions
Sans réponse. C'est à perdre la raison
Là-dessus surgit
La maîtresse de maison qui s'écrie :
« Malheureux !
Tu as encore oublié
Une casserole sur le feu
Tout a brûlé !
Ca ne devrait pas être permis
D'être aussi étourdi.»

— Gérard Miro

Dans la maison du rire

Dans la maison du rire
la bonne n'est pas sage,
et son bouquet éclate de rire.
Poussée devant, la timide tulipe
s'empourpre à vue d'œil.
La barbe de grand-père
a mis bien du désordre.

— Paul Sanson
Pastiche de Trenet.

Le journal d'un confiné

LUNDI.     Remplir attestation de déplacement dérogatoire
                Surtout, ne pas perdre espoir.
MARDI.     Marché fermé; tant pis !
                On mangera des conserves
                On en a en réserve.
MERCREDI. Cours de dessin supprimé... quelle vie !
                Maintenant, de plus rien je n'ai envie.
JEUDI.      Musées et cinés fermés
                 C'est à mourir d'ennui.
VENDREDI. Soucis en quantité
                Mauvaises nouvelles à la télé
                Je n'aurais pas dû l'allumer.
SAMEDI.     Pas un chat dans la rue,
                Je récite du « Baudelaire » : « L'espoir vaincu,
                 Pleure et l'Angoisse... »
                Je m'arrête et m'exclame : Quelle poisse !
DIMANCHE. Quitte à ne rien faire, autant rester au lit,
                 Quelle chance! la semaine est finie.

— Gérard Miro

            

La dune en hiver

Le ciel et la mer se confondent dans de doux pastels gris et roses.
La dune, dans sa robe de bure hivernale, contemple le spectacle magnifique.
Monet aimerait ce tableau.

— Liliane faucher