Je ne jette rien


Ça peut toujours servir, on ne sait jamais. Il suffit de jeter quelque chose et aussitôt ça manque cruellement  « Ah si j’avais su ! ». Les petits hommes verts prétendent que jeter c’est Mal. Tout finit dans les caniveaux, les ruisseaux, les fleuves, les océans et s’agglutine dans le Sixième Continent.
L’instinct de conservation remonte à la nuit des temps. Prenez ce fossile, l’ammonite, quand elle grandit, elle sort de sa coquille mais elle ne jette rien. Elle construit sa nouvelle maison de calcaire en s’appuyant sur la précédente, et ainsi de suite. Elle traîne derrière elle toutes les maisons qu’elle a successivement habitées. Cela fait éclore de beaux coquillages, aux spirales hélicoïdales parfaites, dans les vitrines des boutiques de vente de minéraux rares.
Je suis comme l’ammonite, j’accumule, j’entasse, je collectionne les petites et les grandes choses, les petits et les grands souvenirs. Ma mémoire est infinie, je me souviens de tout. Tel Atlas condamné à jamais, je porte sur mes épaules ma vie passée, fossilisée.
Je courbe l’échine sous le fardeau, j’ai de plus en plus de mal à avancer.

Paul Sanson