Les deux acolytes



La journée ensoleillée s'étiolait langoureusement. Le soir commençait à poindre son nez, quand Victor se décida enfin. Ayant paressé l'après-midi, sa sieste touchait à sa fin. Il mit toute son énergie à se mouvoir pour traverser le jardin, contournant la clôture, et se déplaçant en zigzag. Il y a vraiment beaucoup d'obstacles ici : piquets, pots de fleurs, une table, des chaises, bref tout un capharnaüm. Il progressait lentement comme un hérisson bien portant qu'il était. A un âge avancé, on se traîne un peu mais « qui va doucement va sûrement » se dit-il.
Soudain, au loin, dans le kiosque planté au cœur de la verdure, il entendit des voix. Que se passait-il là-bas ? Curieux, il s'arma de courage, pour rejoindre l'esplanade d'où fusaient des éclats de rire...


Il était presque parvenu à son but, quand soudain, il freina des quatre fers :
devant lui se dressait un animal avec un corps gris, une grande queue, qui se faufilait partout... un face à face silencieux s'instaura. Qui des deux allait attaquer ? Pschitt ! Pschitt ! Tenta Victor pensant effrayer Missy la petite souris. Rien n'y fit ! Attention, je fonce, je pique lui cria-t-il. Pensez donc, il en fallait bien plus pour la terroriser. Elle se campa devant lui et l'interpella : mon pauvre ami, tu es bien trop lent, tu ne risques pas de m'attraper. Moi, je file à toute vitesse, alors inutile de vouloir faire un concours de rapidité, tu es certain de perdre la course. Médusé du culot de la souris, Victor lui asséna : peut-être es-tu la rapide du Texas, mais bon moi j'ai d'autres atouts dissuasifs, et personne ne me cherche de noises. Ici, je suis l'ange gardien des jardins, et d'habitude, je chasse les importuns comme toi...

Miss souris fut un peu vexée par son aplomb, mais ne se démonta pas. Dis donc l'ami, ne te crois pas supérieur à moi. Regarde-toi. Tu ne vois pas que nous avons surtout un point commun ? Pourtant tu vois bien clair la nuit, mais là tu devrais chausser tes lunettes. Victor pouffa de rire. Tu parles, dit-il, j'avais compris tout de suite que nous étions faits du même bois, issus des mêmes essences.

La petite souris pointa son doigt en direction du kiosque : tiens, regarde toutes ces joyeuses têtes assises autour de la table. Que crois-tu qu'elles fassent ? Victor, muet, attendait la réponse. Eh bien, avec patience et application, elles nous plient, nous replient, nous déplient et nous collent des yeux, des oreilles... enfin, tu vois nous sommes bien vivants, grâce à toutes ces dames ! Remercions-les, car sinon nous n'aurions pu faire connaissance ! Oui rétorqua Victor, mais moi j'ai un sacré privilège lui répondit le hérisson : j'ai été conçu à deux mains, par un duo d'enfer ! Ah oui et lequel ? lui demanda la souris : eh bien, je suis l’œuvre de Jacqueline et Sylvie, se gaussa avec fierté Victor. Et c'est sur cette note finale, que cahin-caha, chacun reprit sa route et s'en alla vers d'autres horizons...

— Sylvie Brugeal

Parenthèse ludique dédiée à « Amis des Mots »