Zébrures glacées


Zébrures glacées
Filant en zigzag
Traces subtiles
Noyées dans le noir
Nuances de bleu
Perdu dans l’orangé
Du ciel oublié.

— Sylvie Brugeal


Le soleil s'éclipse


Le soleil s'éclipse
L'horizon jaune ocre
S'impose au jour furtif
Avant que la nuit ne s'éternise.

— Sylvie Brugeal


Amsterdam


Petit poisson prisonnier de la piscine de béton, j'ai touché le fond. Ma mer est grise et carrée, les vagues sont fanées. Seul sous la glace vitrée, je vais et je viens... Putain ! je fais le tapin.
Il entrera, c'est certain. J'entendrai fredonner Combien pour ce voilier dans la vitrine ? Le rideau s'arrachera, je serai dans ses bras.
Emmène-moi au bout de la terre. Emmène-moi au pays des merveilles 
Il me semble que la misère serait moins pénible au soleil...
Moi qui n'ai connu toute ma vie que le ciel du Nord 
j'aimerais débarbouiller ce gris en virant de bord.

— Paul Sanson

Bribes de Emmenez-moi, Charles Aznavour

Marilyn B

Cela fait longtemps que Marilyn est sur la pointe des pieds, le bras étiré au maximum. Elle lance ses petits doigts tous azimuts mais ils sont trop courts. Elle se tend encore une fois de tout son corps, de toutes ses forces… ses doigts ne font que la frôler. Elle abandonne, et se laisse glisser vers le bas de l’étagère, abattue, le menton vibrant, retenant une larme, vexée.
Je suis trop petite.  Et en plus, c’est surement interdit.
Tout est si différent chez Julie, les objets semblent magiques, habités, mystérieux.
Tout à coup Marilyn entend la maman de Julie qui entre par le jardin, rapide, habile, légère, comme une brise. Elle a son sourire radieux habituel. Marilyn se fige. Son désir est si grand que ses yeux la trahissent et elle regarde encore une dernière fois intensément la petite poupée en bois sur l’étagère. La maman de Julie saisit cet indice en plein vol et lui sourit encore un peu plus. Elle s’approche de Marilyn, l’envahissant de son parfum fleuri et de sa lumière.
– Tiens ! Tu peux jouer avec si tu veux !
Quelle fée ! Elle me comprend ! Et ça lui donne envie de pleurer complètement. C’est bête, mais qu’est-ce que j’ai ? Et elle se sent encore plus petite. Toute petite à côté de la maman de Julie. Elle est si gentille ! Comment a-t-elle fait pour deviner ? Quand je serais grande je serais comme elle.
La poupée s’ouvre sous la pression innocente des doigts de Marilyn. Au milieu. Dans son bidon. Comme une boite. Ou comme une bouteille à la mer. Et dedans… C’est trop mignon ! Il y a une poupée plus petite ! Et dedans : une autre encore. Et une autre. Marilyn ne sait pas pourquoi, elle ne comprend pas, mais ça la rend heureuse de peler les couches de cette poupée. Elle se dit que dans la grande il y a un tas de petites. Et même une toute petite, tout au milieu, au chaud.
Elles ont toutes la même tête, les mêmes yeux, avec plein de cils, bien peints. On dirait des images de livres ! Elles sentent la peinture, et les heures minutieuses d’un peintre penché sur elles. Ou bien est-ce une femme qui les a peintes ? Toutes pareilles. Identiques. Ça doit représenter du travail ! C’est magnifique ! Quelle patience, quelle minutie. Marilyn est touchée par ces détails. Ce sont des caresses sur chacune des poupées. Même la plus petite a tous les détails. Ils sont là. Tous. Quand la petite poupée va grandir, ses yeux et ses cils vont se gonfler comme les dessins sur un ballon d’anniversaire. On voit ce que ça donne sur la grande. Ce sera exactement comme ça.

Marilyn a grandi. Elle vend les lambeaux de son rêve de petite fille sur les marchés. A bas prix. Elle voudrait devenir une poupée. En bois. Immobile. Avec des yeux délicats qui ne peuvent voir personne.

— Eleonore Sur